La nouvelle évaluation des préjudices corporels en cas d’aggravation de l’état de la victime
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Deux hypothèses peuvent ici se présenter : soit la victime subit une majoration d’un préjudice préexistant, soit elle subit un nouveau préjudice.
« L’action en réparation, menée par le blessé en cas d’aggravation, sera assez similaire à celle menée initialement, en ce qu’il devra rapporter la preuve de la réalité de son nouveau dommage et de l’imputabilité de celui-ci au fait générateur.
La particularité de l’action se manifeste au stade de l’évaluation : seules les strictes conséquences de l’aggravation doivent être indemnisées, mais elles doivent l’être intégralement.
Ainsi, il doit être procédé à une nouvelle indemnisation, poste par poste, sans que l’indemnisation initiale puisse être réévaluée à cette occasion (Cass. 2e civ. 3 février 2000) ni déduite (Cass. 2e civ. 7 juillet 1993).
Les tiers payeurs ne peuvent solliciter que les remboursements des prestations liées à l’aggravation sans pouvoir prétendre à l’imputation d’une part résiduelle de la créance initiale (Cass. 2e civ 3 février 2000).
En cas d’aggravation d’un préjudice préexistant, le blessé doit démontrer que le préjudice initialement indemnisé s’est intensifié et qu’il constitue bien une demande nouvelle : augmentation du taux de déficit fonctionnel permanent, une majoration des besoins en tierce personne, une intensification du préjudice esthétique, des douleurs permanentes (Cass. 1ère civ. 20 décembre 2017), etc.
Par ailleurs, un taux de DFP de 2 %, reconnu en aggravation d’un taux antérieur de 60 %, s’évaluera au « prix du point » d’un DFP de 62 %.
On indemnisera donc uniquement les 2 %, mais à un montant plus élevé que s’il n’y avait pas le déficit antérieur.
En cas d’apparition d’un préjudice nouveau, le blessé doit démontrer l’autonomie de ce poste par rapport à ceux initialement indemnisés, même si l’aggravation a pu débuter avant cette indemnisation (Cass. 2e civ., 21 novembre 2013).
L’action en aggravation existe même lorsque le préjudice initial est une perte de chance (Cass. 1ère civ. 18 octobre 2017).
Les missions d’expertise en aggravation sont spécifiques, car elles doivent soigneusement reconstituer le principe antérieur à l’aggravation, ce qui oblige notamment à des conversions de taux lorsque le barème des incapacités a changé depuis la première expertise, afin de pouvoir comparer ce qui est comparable.
Se pose aussi la question de savoir si la victime peut solliciter l’indemnisation d’un poste qui existait lors de la demande initiale, mais dont l’indemnisation n’avait pas été demandée.
Ce serait le cas d’un poste de préjudice oublié ou reconnu, voire créé, postérieurement par la jurisprudence.
Selon une jurisprudence constante, tout chef de préjudice non expressément visé par le dispositif d’une décision (ou d’une transaction) est présumé non réparé (Cass. Ass. Plé., 9 juin 1978).
Dès lors, tout poste existant lors de la demande initiale et non indemnisé pourra faire l’objet d’une indemnisation postérieure (Cass. 2e civ. 18 janvier 2018).
Aujourd’hui, il est acquis que l’indemnisation complémentaire peut avoir lieu (CE, 5e et 4e ss-sect. Réunies, 22 avril 2013) sans tenir compte de la diminution d’un autre poste de préjudice (Cass. 2e civ., 11 janvir 1995).
Par ailleurs, il est important de noter que les préjudices nouveaux pouvant justifier une action en aggravation ne résultent pas nécessairement d’une aggravation de l’état séquellaire de la victime.
Ils peuvent aussi résulter d’événements ou de circonstances modifiant les besoins ou les dépenses de la victime.
L’exemple classique à cet égard est celui de la jeune femme déjà indemnisée qui enfante quelques années plus tard.
Cette maternité peut fort bien justifier une demande nouvelle, par exemple si une tierce personne doit seconder la victime pour les soins adonner à son enfant (Cass. 2e civ., 19 février 2004).
Enfin, il faut signaler que les variations monétaires dues à l’inflation ou une hausse de prix ne peuvent pas en principe justifie une action en aggravation (Cass. 2e civ., 22 octobre 2009).
Ces paramètres doivent en effet avoir été pris en compte lors du chiffrage de la demande initiale, notamment par une réévaluation et une indexation. » (*)
En toute hypothèse, il convient d’être assisté d’un avocat habitué à ce type de dossier pour obtenir une juste indemnisation de l’ensemble des postes de préjudice.
* Max LE ROY, Jacques-Denis LE ROY, Frédéric BIBAL, L’évaluation du préjudice corporel, 21e édition LexisNexis